dimanche 3 juin 2012

Ma première dark I.P.A. : La lune rousse.

Une I.P.A. est normalement une bière de teinte blonde/orangée à cuivrée/brune plus fortement épicée en houblon. Selon la "légende", il fallait doser l'alcool et le houblon de façon plus intense pour transporter la Pale Ale anglaise vers l'Inde et que la bière supporte le transport. (I.P.A. = India Pale Ale). Aussi, l'adjectif "pale" reste relatif puisqu'au XVIIIème siècle, la bière de référence était la porter, de couleur bien sombre et non les tristes lagers blondes qui dominent aujourd'hui le marché.

Ce type de bière est très difficile à acheter dans les grands magasins du sud-ouest. Je n'en vois tout simplement jamais. L'un des avantages d'être brasseur (amateur certes, mais brasseur), c'est de pouvoir élaborer quasiment n'importe quelle bière en se renseignant quelques heures.

Je me suis donc renseigné dans un premier temps, en questionnant les brasseurs plus expérimentés sur un forum spécialisé et j'ai lu quelques documents sur l'élaboration et l'esprit de ce type de bière :  quel type de brassage, avec quels malts et autres fermentescibles, avec quels houblons, quelle levure etc.

Ma première recette, mon brouillon, était vraiment comment dire… fantaisiste, une sorte de "dark belgium pale spicy ale" plutôt qu'une IPA (mais je pense que je la tenterai cette recette un jour, comme une "belge spéciale" ou autre… je la garde en mémoire). 
Après quelques recherches et quelques coups de pouce, j'ai pu simulé "ma" recette sur Brewtarget (un logiciel libre d'élaboration de bières)


J'ai ensuite réuni les ingrédients fermentescibles que j'ai concassés :



Je vais utiliser 300g de flocons d'avoine pour cette recette, afin d'améliorer la mousse. Il faut faire bouillir les flocons pendant une bonne demi-heure afin d'obtenir un porridge que nous ajouterons aux malts lors du début du brassage : l'empâtage.



Pour cette recette, le brassage sera de type monopalier, comme le veut la tradition anglo-saxonne,  à 68°C pendant 80 minutes. Je fais chauffer 15 litres d'eau de source à 74°C (qui descendront à 68°C lorsque j'ajouterai les 6,6 kg de malts et flocons.


Enfin, je termine par un palier à 78°C pendant 10 minutes pour stopper les enzymes.

Je filtre la mêche ( nom du mélange obtenu suite au brassage) pour séparer le moût (liquide) des drêches (parties solides). Je lave ces drêches dans le filtre avec plus de 16 litres d'eau à 80°C afin de récupérer un maximum de maltose, le sucre que les levures transformeront en alcool.

Je prépare également mon houblon dans un sac de cuisson, dans lequel j'ajoute deux galets stérilisés pour lester le sac. Ce type de bière est extrêmement houblonnée, il n'est pas question que le sac flotte durant toute la cuisson.



Je mets mon moût à cuire pour 80 minutes avec le houblon amérisant (ici du centennial). Dix minutes (et 5 minutes) avant la fin de cuisson, je rajouterai du houblon arômatique (Kent golding) et de l'Irish moss, une algue qui aide à la clarification. 


Une fois la cuisson terminée, je refroidis le moût avec mon serpentin fait maison pour atteindre 25°C.
Cette opération prendra une heure et nécessitera plus de 60 litres de l'eau de ma source (qui sera recyclée en arrosage du houblon, bien sûr).

 

Pendant le refroidissement, j'en profite pour offrir à ma levure sèche une bonne eau sucrée (préalablement stérilisée) afin de faire augmenter la population des levures.


 Enfin, je mélange dans une cuve de fermentation, le moût arrivé à 25°C et la levure. La densité initiale est, comme brewtarget l'avait calculé, de 16.5°P



Une petite semaine après le début de la fermentation, il est temps de changer de cuve pour se débarrasser des dépôts qui pourraient donner un mauvais goût. Comme vous pouvez le voir sur ces clichés, la fermentation a été intense.


J'en profite pour ajouter 40g de Saaz, un houblon aromatique très "précieux" en dry hopping (houblonnage à froid) pendant 15 jours.
La densité est maintenant de 6°P, loin encore de 4.3°P attendus.



La couleur est inattendue, une impression d'eau boueuse, mais la dégustation est vraiment encourageante : richesse du corps, houblonnage déjà très présent, alcool bien caché et pourtant déjà très intense. Je me demande si je ne devrais pas rebaptiser cette lune rousse en "golem" tellement l'aspect de cette bière est étonnant. Mais peut-être cela changera-t-il après la seconde fermentation. 

Après 14 jours de dry hopping, la densité est descendue à 5°P, la couleur est beaucoup moins "vaseuse" et se rapproche de la teinte attendue. Je retire le houblon flottant avec une passoire stérilisée pour le pas être embêté lors du transvasement.



Je change de cuve pour une autre fermentation, à froid, dans un frigo à 4°C réservé à cet usage (et à la conservation de mes houblons et levures).





 La fermentation à froid a permis, en quelques jours, de bien clarifier cette IPA qui possède maintenant une jolie robe ambrée brune.

J'ai mis 150g de sucre blanc à bouillir (stérilisation) dans un peu d'eau pour préparer la mise en bouteille. Ce sucre (8g/l) servira à la fermentation en bouteille qui produira les bulles (carbonatation). J'ai ajouté 3g de levure pour être certain que la carbonatation sera vigoureuse.

Les étiquettes sont mises. Reste à attendre 4 semaines pour ouvrir la première bouteille de test.







mercredi 23 mai 2012

La rose noire : Une Foreign Extra Stout à ma façon

Lorsque l'on veut brasser une bière, il y a toute une démarche que je vais tenter de présenter ici, de l'envie à la dégustation. Prêt pour un voyage au cœur d'un brassage amateur ? C'est parti.

1) l'envie
Il y a des bières qui nous plaisent qui font envie, dont on se souvient. On a envie de brasser quelque chose dans le style et d'y mettre sa petite touche perso. Ici, c'est un vieux souvenir d'Irlande, de stouts divers, des célèbres Guinness ou Murphy's aux productions locales plus typées.


2) Se renseigner
C'est parti pour quelques lectures et discussions sur les sites et forum de brasseurs, dont le très complet Brassage Amateur afin de savoir quels ingrédients, malts, houblons, levures et autres seraient les bienvenus.


3) Élaborer sa recette
J'utilise pour cela un logiciel très complet appelé Brewtarget. Il en existe d'autres, mais celui-ci a les avantages d'être complet, d'intégrer les styles de bières, d'être très simple d'utilisation et surtout, c'est un logiciel libre (donc très évolutif) et gratuit.
Je détermine mes ingrédients, mon mode opératoire, je vérifie le résultat (densité initiale, densité finale, couleur, amertume, degré d'alcool, caractère etc.)


4) Trouver les fournitures
C'est le point délicat. Le malt, la levure spécifique et le houblon ne se trouvent pas au supermarché du coin. Il y a peu de fournisseurs pour brasseurs amateurs, et ceux-ci ont du mal a faire transporter les kilogrammes d'ingrédients pour pas trop cher.
Parmi les fournisseurs classiques, il y a entre autres brouwland, picomoussle bon planbières du monde et l'étonnant britannique Maltmiller.
J'ai choisi de me fournir chez ce dernier, car ses frais de port sont imbattables (14,40€ pour 30kg), la livraison est rapide (1 à 2 semaines) et il est efficace en communication, répond rapidement aux mails.
Je lui ai passé commande pour les 4 prochains brassins, soit 80 litres de stout, d'Indian Pale Ale, de bière type Abbaye, de bières blanches pour un total d'une centaine d'euros. Il faut lui préciser si l'on souhaite du malt non concassé, car traditionnellement, les britanniques achètent du malt déjà concassé.
" Hi Rob, I need UNcrushed malt, do you remember ?"



















5) Concasser
Pourquoi concasser son malt alors qu'il pouvait être livré concassé ? Juste pour une histoire de conservation.
Le concassage se fait avec un moulin à céréales, et cela prend du temps.
Il faut briser l'enveloppe du malt sans pour autant le réduire en farine, bref au bout de quelques essais, on trouve le bon réglage, le grain est cassé, tout juste cassé.



















Je concasse uniquement le malt (sauf 300g de malt chocolat que je garde de côté).

6) Brasser
Une fois que les ingrédients sont là, que le mode opératoire est bien pensé, il faut brasser sa bière, c'est à dire, mélanger les ingrédients dans le bon ordre et aux bonnes températures.
Remarque importante : je n'utilise jamais d'eau du robinet, car elle est chlorée. Si vous n'avez pas de source, les bouteille de 5 litres à 1€ pièce sont une bonne solution.

Voici ce que j'ai décidé de faire.
   a) Je fais plusieurs choses en parallèle.

  • Je fais bouillir les flocons pendant 20 minutes dans 4 litres d'eau pour obtenir un porridge. 
  • Je réduis en poudre 300g du malt chocolat pour extraire sa couleur dans une salade froide sans obtenir trop de goût brûlé. Je mets cette poudre dans 1 litre d'eau.
  • Je mets 15l d'eau à chauffer dans ma cuve d'empâtage pour atteindre 54°C.


 

   b) Empâtage
Je mets l'ensembles du malt dans l'eau, ainsi que le porridge et la salade froide qui donne une magnifique couleur bien sombre. Je laisse la température remonter à 52°C et je conserve ce palier de protéolyse pendant 15 min.


 c) Les paliers
Ensuite je monte la température à 62°C pour la saccharification pendant 35 min. J'ai choisi de faire ce palier un peu court, car je ne cherche pas trop l'alcool dans cette recette, mais plus le corps.
Je monte la température à 72°C pour le palier des dextrines qui permettront à la bière d'avoir du corps, de l'épaisseur. Je conserve cette température durant 25 minutes.
Enfin, je monte la température à 78°C (en faisant attention à ne pas dépasser 80°C) afin de stopper les enzymes.

7) Filtrer la mêche et laver des drêches


Ce qui se trouve à 78°C dans la cuve se nomme la mêche. Elle est constituée d'un liquide maintenant sucré (le moût) et des résidus solides, les drêches.
Je ne veux que le moût pour ma bière, les drêches iront aux poules. Je mets donc la mêche dans une cuve de filtration faite maison, et je galère bien sérieusement, car ma recette est pleine de flocons qui forment une colle bien ennuyeuse qui bouche ma tresse inox de filtration. Mais je finis par m'en sortir en secouant la tresse avec un crochet.
J'ai chauffé 12 litres d'eau à 78°C et je passe doucement cette eau sur les drêches, pour récupérer tout le sucre. On appelle cela "laver les drêches".

8) La cuisson et le houblonnage
J'ai préparé mes petits sachets de houblons.




Un que je mettrai en début de cuisson et pour 60 minutes, qui est amérisant puis un autre que je ne laisserai cuire que 15 minutes, en fin de cuisson et qui sera un houblon arômatique. J'ajouterai aussi à ce moment là, 10g d'Irishmoss, c'est une algue gélifiante qui a pour but de clarifier le moût en favorisant l'agglomération des protéines qui pourraient demeurer en suspension après l'ébullition.

9) Préparation de la levure
Pendant la filtration, le lavage ou la cuisson, il n'y a pas grand chose à faire. Alors j'en profite pour faire bouillir un peu d'eau avec un peu de sucre.
(par exemple ici : 250 ml et deux trois morceaux de sucre roux).
Je laisse refroidir à 25°C maxi dans un bocal préalablement stérilisé, et je met ma levure dessus.
En moins d'une heure, la levure a bien multiplié sa quantité, et le démarrage se fera mieux.


10) Le refroidissement
Après la cuisson, il faut refroidir rapidement le moût pour éviter les infections qui risquent de venir entre 50°C et 20°C avant la fermeture de la cuve et ensuite mettre notre levure au travail.
Pour cela, j'utilise un échangeur en cuivre de fabrication maison, que je mets dans la cuve de cuisson pendant les 5 dernières minutes de cuisson.

Puis, une fois la cuisson terminée, c'est parti pour 45 minutes de "création d'eau chaude" pour environ 50 litres d'eaux que je stocke et utiliserai pour arroser mes tomates et houblons. Le moût part dans la cuve de fermentation, préalablement désinfectée.

11) La fermentation primaire.
Je verse ma levure dans la cuve de fermentation dès que le moût est à moins de 25°C. Je referme la cuve et la transporte dans une salle à 18°C (La T58 est une levure de fermentation haute).
La densité initiale est de 17°P pour 21 litres (Brewtarget avait calculé 16.4°P pour 21,615 litres ce qui est une approximation très correcte)
Ensuite, j'installe le barboteur qui va permettre la sortie du CO2 et empêcher les insectes de rentrer.
En principe, j'utilise de l'eau minérale dans le barboteur. Mais là, pour jouer au kakou, j'y ai mis le breuvage local : de l'Armagnac.


Il faut maintenant attendre une bonne semaine, pour que la fermentation se calme et passer en fermentation dite "secondaire" (quoique le terme soit abusif) en changeant de cuve pour se débarrasser du dépôt de fond de cuve qui peut donner un mauvais goût à ma bière.

12) Fermentation secondaire.
Il est temps, maintenant, 5 journées et demie après le début de la fermentation, de changer de fût de fermentation pour éviter que les dépôts de levures mortes ne donnent un sale goût à la bière.
Je contrôle la densité qui est maintenant de 6°P, loin encore des 4,3°P attendus certes, mais de 17°P à 6°P en 5 jours, on peut dire que la T58 a été efficace !


Il ne s'agira pas d'une fermentation secondaire au sens propre, puisque je ne vais pas rajouter de levure, mais plutôt d'une garde d'abord à 19/20°C pendant 48 heures, pour que la fermentation reparte, puis dans ma cave à 15/16°C pour 2 semaines minimum, en cherchant à descendre la densité à 4,3°P ou presque.

Je déguste mon échantillon : Le goût est déjà très encourageant. Ça ressemble déjà beaucoup à une stout de base totalement plate.
En bouche, la texture est "crémeuse", évoque la mie de pain blanc, le café/cacao classique, on sent assez peu le malt foncé, juste comme il faut (merci la salade froide). C'est extrêmement "soyeux" et l'impression générale de saveur m'évoque les sous-bois. Les secondes suivantes laissent bien s'exprimer l'houblonnage, l'amertume qui se montre bien sans pour autant être trop saturée, et s’atténue peu à peu pour laisser une note finale dans le nez, une sorte de rappel qui donne envie d'une autre gorgée. Je ne suis vraiment pas déçu.

13) Préparation des bouteilles : J'ébouillante mes bouteilles dans un confiturier pendant 30 minutes. Puis je les mets à égoutter sur un support stérile. Je stérilise mes capsules et bouchons mécaniques dans du "chemipro".

14) préparation du sucre d'embouteillage : Je vais finalement obtenir 18 litres de cette Foreign Extra Stout. Je stérilise donc 18x6=108 g de sucre de table dans un demi litre d'eau. J'attends que la température redescende à 25°C maximum avant d'ajouter ce liquide sucré dans ma bière.
Ce sucre sera utilisé par les levures qui restent dans les bouteilles pour former les bulles (carbonatation).
Pour une foreign extra stout, 6g/l suffisent largement. Cette bière est presque plate.

La densité avant embouteillage est restée à 6°P. Donc on peut considérer que le taux d'alcool sera de :
{(1000+17*4)-(1000+6*4)}/7.6 = 5,8° auxquels j'ajoute 0.3°pour la fermentation en bouteille (les 6g de sucre)
Donc j'attends une Foreign Extra Stout à 6°2 au lieu des 6°6 prévus au départ.



Je goûte, c'est vraiment délicieux. Une petite fermentation en bouteille, et un mois d'attente.

Quatre semaines plus tard, il est temps de goûter :



\o/ C'est une véritable réussite. La mousse est dense et amère. Les bulles sont présentes mais discrète, comme l'exige le style. La bière est incroyablement soyeuse et développe très nettement des arômes successifs de chocolat amer, de café et de vanille.
Je pense qu'il s'agit là de ma meilleure recette.